Article déjà publié sur ce blog le 18/09/2014
Ce qui suit n’est pas un détail.
le concept d’autonomie relative : d'une économie restreinte à une économie généralisée. Et nouvelles notes.
Marx développe à de nombreuses reprises le concept d’autonomie relative des idées par rapport aux conditions matérielles antécédentes dans lesquelles elles ont été créées, dans lesquelles elles sont nées alors que ces conditions ont changé*.
Dans le début des années 2000, j’ai développé cette thèse, sans rien inventer, mais en essayant de la généraliser, pour les sentiments par exemple, leur autonomie relative par rapport aux conditions antécédentes dans lesquelles ils sont nés, et à partir desquels nous abordons les évènements, les informations etc.
De même pour les autres « objets » soumis à pensée.
Autre chose : il est juste d’aborder les débats sur le contenu des idées, leurs relations avec la « réalité extérieure indépendante de notre conscience » avec des mots qui rassemblent pour l’action de transformation en bonheur, en santé, quelle que soit l’opinion philosophique, religieuse etc. des interlocuteurs. Il est cependant nécessaire de revenir aux mots les plus « exacts », ceux qui peuvent décrire le plus rationnellement possible la réalité**. En ce sens les termes « âme », « esprit », ne peuvent remplacer le terme « pensée » et ce qu’il représente en tant qu’activité individuelle et sociale, dans l’ontologie de son processus comme dans « l’état présent », celui qu’on observe à un moment donné.
Le concept « d’autonomie relative » cité en début d’article est de la plus grande importance. De lui dépend la compréhension d’un processus et de l’état présent d’un « objet » observé, car il permet de rejeter dans toutes nos actions à court et long terme, les idées fausses et mutilantes telles celle de l’automaticité du développement, celle d’immuabilité d’un état et celle de l’indépendance de la pensée de son support : le corps humain, la société, leurs relations générales dans le mouvement général de la nature observable.
Une leçon de la chose nous est donnée par Marx dans l’observation, la conceptualisation et la synthèse du mouvement de l’échange des marchandises. Dans son introduction à la critique de l’économie politique du 29 août 1857 entre autre, l’observateur se trouve du côté de la vente, puis du côté de l’achat, puis du côté de la production, puis du côté de l’échange et de la distribution pour finalement voir le mouvement dans son ensemble, dans la synthèse de tous ces mouvements constituant de fait un mouvement unique dans sa diversité.
Cette leçon de chose est applicable à tout objet réel et d’étude et à tout mouvement particulier et à leur relation dialectique, leur interaction avec la constitution d’un mouvement d’ensemble de l’individu, de la société, de la nature, mouvement d’ensemble dont les antécédents constituent la causalité.
Des antécédents constituent la causalité et le futur du mouvement particulier dans le mouvement d’ensemble n’est pas écrit d'avance et dépend en partie, mais seulement en partie de la conscience, de la volonté et de l’action humaine quand il s’agit précisément d’un mouvement de l’être social, même si les mouvements de l’être social peuvent modifier la nature et inter-réagir avec ces modifications de la nature opérée par l’activité de l’être social.
Je pose dont ici deux questions qu’on ne peut aborder sans le concept d’autonomie relative par rapport aux conditions matérielles antécédentes : 1) quelle est « la quantité et la qualité » de la « nécessité » et de la « liberté » dans l’évaluation des possibilités précédant un acte humain, y compris dans les capacités de décision en faisant partie ? 2) L’accumulation des concepts (des systèmes de concepts en mouvement) et des capacités, leur « condensation » dans une « miniaturisation-concentration » de ces concepts, à l’image de la révolution numérique par exemple, a le même effet que la suraccumulation du capital dans une société qui prélève des richesses au passage de l’échange, et stérilise une partie de ces prélèvements produisant une dévalorisation de l’activité humaine. Quelle est donc « la quantité et la qualité » de transformations à opérer non seulement en matière d’économie en dernière instance, mais dans tous les domaines de l’activité humaine et le mouvement d’ensemble qu’ils constituent, sans oublier les différents points d’observation des différents mouvements et leur « résultante », à l’instar de l’observation de Marx sur la circulation des marchandises ?
Comme dit précédemment, ceci n’est pas un détail, ni une lubie d’intellectuel en mal de réflexion. C’est une condition sine qua non pour que l’action dite triviale, au quotidien, trouve issue, si tant est qu’une issue existe, autre question faisant partie de l’étude et l’action en santé sur le réel. Le passé historique de l’humanité nous donne de nombreux exemples de ces conditions de développement humain
L’accumulation des concepts et des capacités, leur « condensation » dans une « miniaturisation-concentration » de ces concepts a un autre effet comparable en « économie restreinte », et conduit à une massification d’un surproduit, à l’instar du surproduit de l’économie dans la grande industrie et à fortiori dans la grande industrie informationnalisée. Dans cette énorme marge de surproduit, en comparaison avec le surproduit paysan d’il y a quelques siècles par exemple, il est évident que l’autonomie relative des concepts s’accroit démesurément dans le même temps que se rigidifient des « lois-tendance » si tant est que les contradictions entre les besoins humains et leur développement prennent trop de distance entre eux. Il y a bien là une correspondance entre économie et processus social généralisé du fait qu’il s’agit non de deux activités indépendantes mais d’un même mouvement dans lequel économie et social n’ont qu’une autonomie relative, quelle que soit son degré.
On peut ajouter qu’un écart trop grand est arrêt de mouvement de même qu’une superposition totale, qui ne peut exister, mais dont on peut se rapprocher trop, seraient mortels l’un et l’autre.
Il n’y pas plus grande « spiritualité », pour reprendre un terme de la philosophie nommée « idéaliste », c'est-à-dire croyant que la pensée fabrique stricto sensu la matière et son mouvement et non le contraire, pas plus grande « spiritualité » dis-je, que la mise en pratique de concepts de ce qu’on peut nommer « une économie généralisée », à l’instar de la relativité. Economie généralisée, c'est-à-dire subsistance « matérielle et morale » en santé, en processus de l’humanité, elle-même conscience de la nature sur elle-même.
Causalité et téléologie (et non eschatologie utopique d’un mouvement, même si la volonté eschatologique intervient dans la téléologie d’un mouvement) « fonctionnent de concert » dans l’unité du mouvement social. « L’économie généralisée » requiert la vision « en miroir » du mouvement sur lui-même, c'est-à-dire la conscience de l’être social sur ses mouvements passés dans la perception d’un présent juste passé, et l’imagination empirique et scientifique des futurs possibles, dans le choix de ses mouvement futurs, leur élaboration anticipante, et les utopies opérationnelles qu’ils contiennent***.
Le concept d’économie généralisée a le même ordre d’importance et plus que celle de relativité généralisée. Il brisera par sa force toutes les barrières idéologiques placées en défense des barrières économiques et sociales placées par l’ordre ancien, ses gestionnaires et ses utilisateurs relativement bénéficiaires. « En se libérant les sujets producteurs des biens nécessaires à l’humanité libèrent la société entière »****.
Pierre Assante, 18 septembre 2014.
Notes :
* Dans un premier temps j’ai rédigé cet article en affirmant l’autonomie relative de tout objet dans la nature. Démarche tout à fait justifiée je crois, à la lumière des ultimes connaissances (bien qu’on en ait eu l’intuition empirique depuis des millénaires) en matière de génétique, du processus génétique en saut à travers les générations et en continu à travers l’individu, son environnement et son activité, (et en saut et continu en unité dans tout processus), de neurologie, de la pluridisciplinaire ergologie, de transmission socioculturelle, anthropologie, travail inducteur de l’humain, de philosophie matérialiste débarrassée d’un dogmatisme institutionnel qui avait malgré tout lui aussi ses intuitions, de l’unité-diversité du mouvement général, etc.
Les interprétations mécanistes de la nature une fois dépassées, de même que la transposition mécanique de propriété minérales, biologiques à la matière pensante, à la psychologie et à la sociologie, l’unité minéral-biologique-pensée dans un processus particulier d’un processus d’ensemble permet d’affirmer l’autonomie relative de tout objet dans la nature en contredisant de plus positivement les interprétations d’ordre « biblique » de la nature.
Je suis cependant revenu à la seule formule de Marx pour attaquer cette réflexion car il n’est pas certain que l’on puisse élargir le concept d’autonomie relative à l’ensemble des objets de la nature et le rendre compréhensible sans ce passage par la compréhension de l’autonomie de nos représentations en mouvement en processus dans notre cerveau, notre être social. D’où l’utilité de cette note.
** Le langage poétique tente au contraire, je crois, d’utiliser et jouer avec les multiples couleurs, sonorités, et significations superposées d’un mot et d’un complexe de mots, les réminiscences et projections qu’ils contiennent etc. Ce qui ne veut pas dire qu’un langage scientifique ne puisse pas être poétique.
*** "...C'est cet inéliminable moment d'apprentissage qui nous fait prendre nos distances par rapport au projet d'une "science de l'individuel". Mais pour arriver à ce constat, il faut pouvoir généraliser ce qu'on vient de suggérer à propos des situations de travail. Or nous croyons que le travail concentre particulièrement la question des rapports entre le concept et le singulier...."
Yves Schwartz,"Une science du sujet singulier est-elle possible ?". "Travail et Philosophie. Convocations mutuelles", p.225, OCTARES, 1994.
**** "...Pour Marx lui-même, l’économie était toujours le fondement matériel des formes (catégorielles) décisives de la vie humaine, de leur développement historique, dont l’expression la plus générale se concrétise réellement comme la généricité sortie du mutisme. Ses successeurs, en faisant de cette base universelle de l’être de l’homme une « science particulière », isolée de cet être, ne pouvaient découvrir dans ses contextes partiels que des applications aux activités de l’homme purement particulier, de sorte que même leur synthèse la plus totale ne pouvait pas dépasser cette particularité…..Puisque toute expression non strictement économique de la vie humaine…..se trouvait face à cette économie artificiellement isolée sous l’aspect d’une superstructure mécaniquement dépendante d’elle…..l’économie elle-même ne pouvait que perdre tout lien interne avec la généricité humaine…."
Lukács 1971, « Prolégomènes à l’ontologie de l’être social », p.308, Ed. Delga, 2009
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